Novembre 2013. Deux cents personnes sont expulsées de l’église du Gesù, à Saint-Josse. Parmi elles, des familles roms originaires de Slovaquie, mais aussi d’autres, issues du Maghreb ou d’Afrique noire. À la suite de leur évacuation, certaines sont relogées pour une durée limitée dans des logements de transit dans plusieurs communes de la capitale. D’autres atterrissent en urgence au Samusocial, où plusieurs séjournent toujours.
Pour rappel, le dispositif d’urgence sociale avait obtenu un prolongement du Plan hiver pour maintenir l’accueil de ces familles jusqu’au 30 juin. Évelyne Huytebroeck, ministre bruxelloise de l’Aide aux personnes en affaires courantes, vient d’annoncer un nouveau prolongement de trois mois. Soit un budget de 390.000 euros débloqué pour prendre en charge cette trentaine de familles jusqu’à la fin du mois de septembre.
De son côté, le futur gouvernement bruxellois a intégré dans son projet de déclaration gouvernementale la question des «familles en errance». Outre la pérennisation de la «task force population en errance» créée fin novembre 2013 par la Région, le projet entend rendre structurelle la mesure de prolongation du Plan hiver pour les familles qui sont présentes au sein du dispositif hivernal. Il propose aussi la désignation d’un coordinateur régional «chargé de recevoir et traiter avec les communes et CPAS lorsque des situations d’urgence se présentent pour des familles en situation d’extrême précarité ou de sans-abrisme».
«Avec ce projet, on reste dans l’urgence. Il faudrait que ce travail de concertation planche sur des solutions à long terme, selon le principe du Housing First», commente Caroline Intrand, du Ciré, qui s’interroge sur cette décision de libérer 390.000 euros pour prolonger l’hébergement au Samusocial : «Ce budget pourrait sans doute permettre une prise en charge plus longue de ces familles si elles étaient réparties dans les différentes communes de la Région. Car l’hébergement d’urgence, les expulsions, des gens en rue, cela coûte cher socialement, humainement et financièrement. Personne n’est bénéficiaire.»
Des communes entre méfiance et engagement
Mais qu’est-ce qui coince quand on aborde la possibilité d’une prise en charge plus longue? Les communes seraient-elles frileuses à l’idée d’accueillir ce public qui cumule les vulnérabilités?
Après l’évacuation, neuf appartements de transit ont été mis à disposition par la commune de Saint-Josse (voir encadré). Un plan de relogement pour six mois a aussi été mis sur pied par la Fédération bruxelloise de l’union pour le logement (Fébul) à la demande du ministre du Logement Christophe Doulkeridis. «La Région nous a mis en contact avec des bailleurs publics à Anderlecht, Watermael-Boisfort, Ixelles, Forest et Schaerbeek, explique Véronique Gérard. Mais ces conventions d’occupation sont terminées depuis le 30 mai.» Le problème? La plupart de ces appartements étaient gratuits parce qu’en attente de rénovation, à l’exception de ceux de Schaerbeek et d’Anderlecht (ce dernier appartenant au Fonds du logement). Les loyers de ceux-ci étant payés par un subside régional, lui aussi arrivé à terme. «Mais les familles ne partent pas, déplore Véronique Gérard, de la Fébul. On est court-circuités par le monde associatif qui ne cesse de proclamer ‘pas d’expulsion sans relogement’. On est soucieux de ne pas mettre ces familles dehors, mais on se retrouve avec 20.000 euros d’arriérés. Si on ne nous les paye pas, il n’y aura plus de Fébul.»
«C’est un très mauvais message de dire aux familles de rester, renchérit la travailleuse de la Fébul. On bousille l’outil de l’occupation précaire. Il faut une structure solide, via une collaboration avec les CPAS, pour les prendre en charge.»
Pour le Ciré et la Fébul, les communes et CPAS présents au sein de la task force présidée par la Région ne font preuve «d’aucun engouement». Il y a peu, ces deux associations, avec d’autres, ont lancé un appel aux bourgmestres bruxellois pour qu’ils s’engagent à trouver des solutions. Résultats des courses? Seules deux communes ont répondu… s’excusant de ne pouvoir faire plus…
Alors, ces familles sans abri sont-elles vraiment vouées à errer sans fin? À Saint-Josse, là même où elles ont été expulsées, le dynamisme du service prévention de la commune semble pourtant porter ses fruits (voir encadré). Un travail qui tendrait à prouver que, avec un logement stable et un accompagnement social rapproché, ces personnes ne sont finalement pas impossibles à réinsérer. Une expérience qui fait des petits puisque Ixelles s’en inspire aujourd’hui en élaborant un projet pilote destiné à deux familles. «Cela tient plus au dynamisme des travailleurs de terrain qu’à une réelle volonté politique», tempère néanmoins Caroline Intrand.
À Saint-Josse, on mise sur un accompagnement rapproché
Depuis l’expulsion du Gesù, neuf familles ont été relogées dans des appartements de transit de la commune. Interview de Christine Pauporté, du service prévention, qui coordonne l’accompagnement de ces familles.
Alter Échos : Dans quel cadre ont été relogées les familles issues du Gesù?
Christine Pauporté : Les familles ont été logées dans des appartements de transit via des conventions d’occupation temporaire de six mois renouvelables. La commune s’est donné deux ans pour les remettre dans le circuit ordinaire, en espérant qu’on y arrive avant cela.
A.É. : En quoi le travail que vous menez avec ces familles est-il spécifique?
C.P. : Ces familles, majoritairement avec des enfants, sont dans des situations compliquées sur tous les plans. Si on leur offre un logement sans accompagnement, cela fait des dégâts. On les met dans un trou sans leur donner les moyens de s’en sortir. On leur a donc donné quelques règles du jeu, puis on les aide à les appliquer. Trois assistantes sociales du service prévention ont chacune trois familles à suivre. Elles font un suivi qui est au minimum hebdomadaire, avec des visites domiciliaires. Notre objectif est de mettre ces familles dans les conditions pour un parcours de vie digne.
A.É. : Quels sont les axes prioritaires de votre travail?
C.P. : On commence par une remise en ordre des titres de séjour. Pour certaines familles c’est très rapide, en trois semaines c’est fait, et cela ouvre le droit au travail. Pour d’autres, c’est l’inverse et la situation est bloquée sans un emploi. L’objectif est de leur trouver un travail même à mi-temps, avec des allocations complémentaires, elles pourront s’en sortir comme jamais. C’est notre cheval de bataille. On a négocié avec la mission locale pour qu’elle puisse prendre ces personnes en charge plus rapidement. Car l’emploi, c’est la clef de tout.
A.É. : Ces familles ont souvent des enfants…
C.P. : Le soutien scolaire et le vécu social des enfants sont une autre priorité. Nous insistons sur une fréquentation régulière de l’école. Certains adolescents étaient en décrochage partiel : «Dans quelques semaines, dans quelques mois, nous devrons de nouveau partir, expliquaient-ils. On ne sait pas étudier comme cela.» Les assistants sociaux de la commune les ont rassurés et leur ont fait rencontrer des personnes issues de l’immigration qui sont devenues médiatrices à la commune. Les jeunes ont commencé à parler de leurs projets, de leurs envies… Certains gosses vont moins bien, alors on met en place un soutien individualisé.
A.É. : Quels résultats après six mois de travail?
C.P. : Deux familles sans enfants ont été remises dans des logements classiques. C’étaient les plus faciles «à recaser». Les Roms sont plus difficiles à réorienter, parce qu’ils suscitent de la méfiance et parce qu’ils ont souvent beaucoup d’enfants. C’est pour cela qu’il faut faire accéder le père à l’emploi.
A.É. : Que se passera-t-il au bout des deux ans si les familles sont toujours dans leurs logements de transit?
C.P. : On ne sait pas encore. La commune a pas mal de projets en rénovation ou en construction, j’espère que d’ici là on sera un peu moins sous pression.
Source
https://www.alterechos.be/
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